LA POURSUITE DU BONHEUR by KENNEDY DOUGLAS

Auteur:KENNEDY DOUGLAS
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782714449863.epub
Éditeur: Belfond
Publié: 2010-07-14T16:00:00+00:00

2

Je l’ai regardé sans un mot. Combien de temps avait passé ? Thanksgiving 1945. Quatre années, à un mois ou deux près. Quatre ans, grand Dieu ! Mais il n’avait pas cessé de me hanter, pourtant. Pas un jour ne s’était écoulé sans que je pense à lui, sans me demander où il était, si je le reverrais jamais, et si les quelques mots de sa carte seraient les derniers que j’aurais de lui.

Quatre ans, disparus en un clin d’œil. Hier, une New-Yorkaise en herbe à peine sortie du campus, aujourd’hui une divorcée de vingt-huit ans qui se retrouve devant un homme avec lequel elle a passé une seule nuit cinquante mois plus tôt mais dont le souvenir a pesé sur toute son existence depuis…

J’ai détaillé ses traits. La mâchoire toujours aussi carrée, toujours cet air d’enfant de chœur rebelle, toujours aussi… irlandais. Cette fois il portait un pardessus marron, des gants de cuir et une casquette mais pour le reste il était apparemment la réplique exacte du Jack Malone que j’avais connu en 1945.

— Vous vous connaissez ?

La femme est intervenue, brisant notre silence. Non. « Sa » femme. Un ton modérément surpris, sans la moindre trace de soupçon ou d’irritation malgré l’évidente stupeur dans laquelle cette rencontre venait de nous plonger, son mari et moi. Elle avait certainement mon âge, me suis-je assurée d’un nouveau regard. Aussi grande que Jack – autour d’un mètre soixante-quinze –, mais d’une extrême minceur qui se devinait sous son gros manteau bleu marine à col de fourrure, avec des gants assortis. Ses courts cheveux auburn étaient retenus par un bandeau en velours noir. Un visage harmonieux mais sévère qui rappelait les portraits des premiers colons de Massachusetts Bay. Je pouvais l’imaginer supportant la rude existence des années 1630 avec une résolution de fer. Elle me souriait avec urbanité, et cependant je percevais une grande force en elle, possiblement redoutable.

Le bébé dormait toujours. Plutôt un petit garçon, d’ailleurs. Il devait avoir dans les trois ans. Très mignon, comme tous les garçons de son âge. Il était emmitouflé dans une combinaison de laine avec des moufles retenues aux manches par des boutons-pressions, de la même couleur que le manteau de sa mère… Quel privilège, de pouvoir coordonner sa tenue et celle de son enfant ! Mais j’étais sûre qu’elle ne voyait rien d’exceptionnel dans ce détail. Pourquoi ? Elle avait un mari, un fils… Elle avait « cet » homme, et un ventre toujours fécond. Et sans doute était-elle convaincue d’avoir droit à tout cela, le droit divin à la Maternité et à l’Amour de cet abominable, égoïste, insupportable, irrésistible Irlandais…

Mon Dieu, mais écoutez-moi !

— Oui, bien sûr, a-t-il fini par répondre. N’est-ce pas, Sara ?

Retour à la réalité.

— Oui, c’est vrai, ai-je bredouillé.

— Eh bien, Sara Smythe… Dorothy, ma femme.

Elle a accueilli ces présentations d’un sourire et d’un petit signe de tête. J’ai fait de même.

— Et Charlie, notre fils, a-t-il complété en tapotant la capote du landau.

— Quel âge a-t-il ?

— Juste trois ans et demi, a annoncé Dorothy.

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